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Tiers langages, Tiers paysages, Tiers terrains

Projet collectif du CRAL

Le projet Tiers langages, Tiers paysages, Tiers terrains est porté par un groupe de travail au CRAL composé de Sara Aggazio, Marion Grange, Bronwyn Louw, Marion Dupuis et Tiphaine Samoyault. Ses prémisses s’élaborent à partir d’un questionnement quant à la possibilité, la pertinence et le potentiel heuristique d’un croisement entre tiers espaces, paysages, lieux ou terrains d’un côté, et tiers textes, langages, ou encore livres de l’autre, notamment en ce qui concerne les processus de traduction. Il prend d’emblée plusieurs formes, entre publications, terrains d’investigation collectifs et projets de médiation, toutes traversées par des questionnements autour du mot tiers dans ses acceptions spatiales, littéraires, critiques et politiques à l’époque contemporaine.

Nous interrogeons les usages contemporains du tiers qui se multiplient depuis le début des années 1990. Du côté spatial, géographique, paysager, on trouve la notion de Tiers paysage proposée par Gilles Clément pour renvoyer aux entre-deux, aux délaissés et friches, mais aussi l’idée d’un tiers espace de la « nature emparquée », pensée par Jean Viard puis commentée par Martin Vanier, qui y voit des « territorialités complexes » associées au périurbain. Alors que le tiers peut désigner des lieux hybrides ou des endroits d’engagement associatif ou militant (comme le Tiers-lieu Paysan de la Martinière), un site gouvernemental dédié aux tiers lieux pointe vers une récupération institutionnelle et économique et pose la question de la désémantisation du mot. Du côté textuel, linguistique ou encore culturel, Homi Bhabha a proposé le concept de tiers espace pour penser l’hybridité culturelle à l’œuvre dans des marges qui échapperaient à des formes d’endiguement de la différence entre cultures induites, d’après lui, par des politiques de la diversité imprégnées d’exotisme de type colonialiste. Dans le même sillage, Lily Robert Foley propose la notion de tiers texte afin de théoriser, à travers une lecture queer, les mouvements à l’œuvre dans les processus d’autotraduction. Ce dynamisme du tiers se joue aussi entre l’écriture et l’espace, y compris virtuel (François Bon et le tiers livre) et semble tendre vers une poétique-politique de l’hétérogénéité, de la différence, et de la pluralité.

Des dynamiques d’hétérogénèse, de différences émergentes (Latour, Guattari), traversent les notions de Tiers paysage, de tiers espace et de tiers texte, que l’invention ou le surgissement en cause soit d’ordre conceptuel, esthétique, biologique, ou même les trois à la fois…Et si tiers, plutôt qu’une voie alternative ou un résultat, renvoyait au caractère imprévisible, inattendu, indécidé, inachevé ou instable des lieux et des écritures, à l’instar de la notion de créolisation proposée par Édouard Glissant ? Et s’il s’agissait d’un espace de « fugue » et « refuge » (Dénétèm Touam Bona) pour ce qui échappe à la prise et au contrôle – l’insaisissable, l’intraduisible, l’innommable, la part résiduelle et irréductible ? Il n’est pourtant pas question de déplorer l’impuissance des mots, de l’entendement ou du littéraire face au « réel » de l’espace, ou encore de la traduction face aux langues, mais au contraire de penser, entre textes et terrains, la relative puissance d’imprévisibilité et « l’indocilité créatrice » (Dénètem Touam Bona) à l’œuvre dans le langage, entre les langues, et à même le paysage, où se déploierait une véritable écriture « du monde » (Jacques Tassin, David Abram). Le tiers permettrait alors d’étudier les espaces liminaux et les dynamiques d’invention collectives qui s’y dressent à l’écart – dans une certaine mesure (ce qui est justement à questionner) – de l’aménagement spatial et des différentes formes d’autorité discursive.

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Photographies : Greffe en lisière de friche © Aude Carleton 

TERRAINS D'INVESTIGATION COLLECTIVE

Faire avec la friche. Un jardinage du Tiers paysage 

Dans le cadre du projet Tiers langages, tiers paysages, tiers terrains, Bronwyn Louw s’associe à Flora Boumendil (étudiante au Muséum National d’Histoire Naturelle, dans le parcours Sociétés et Biodiversité du master Biodiversité, Écologie, Évolution) dans le terrain d’investigation collective « Faire avec la friche. Un jardinage du Tiers paysage ». Il a lieu au Verger du clos de Valorge à Brétigny-Sur-Orge, sur un site d’un hectare partiellement recouvert par une friche armée. L’action associative et militante d’Au 36, Cabaret des cultures, fondée par Mariane Frisch (céramiste et co-fondatrice du mouvement pour l’interdiction des pesticides Nous Voulons des Coquelicots) et Carol Williamson (jardinière et paysagiste) y rencontre la démarche de recherche-création que développe Bronwyn Louw dans le cadre de sa thèse, une enquête agropoétique sur les écritures et les jardinages du verger au 21e siècle.

Comment acter un jardinage partiel du Tiers paysage, où faire-verger aux marges d’un peuplement dense d’aubépines, de pruneliers, d’églantiers ? Comment faire avec la croissance spontanée des arbustes de la friche, entre le dynamisme migratoire des plantes adventices et des savoir-faire paysans qui entourent les arbres fruitiers, tel la greffe ? Dans le sillage d’écrits de Gilles Clément, de Geneviève Michon, de Véronique Mure, ou encore de Maurice Chaudière, ces questions paysagères, agroécologiques, et même agropoétiques, se pensent dans la pratique au verger et s’y déploient par le projet de paysage « Faire avec la friche », où il s’agit de greffer en lisière des cheminements qui traversent la friche et s’ouvrent parfois en clairières.   

Photographies : Greffe en lisière de friche © Aude Carleton 

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