Type et date de soutenanceSoutenance de thèse

Le tango face au numérique : une ethnographie de la production musicale au XXIème siècle

Jimena Ponce de Leon

Jimena Ponce De León

Résumé

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Comme toute l’activité humaine du XXIe siècle, les pratiques artistiques sont traversées par le numérique. Cette thèse est le résultat d’une enquête sur les usages qu’en font les musiciens du tango contemporain, et propose de comprendre le déroulement des étapes de la production musicale face à ces nouveaux outils. Dans ce but, des entretiens ethnographiques et des observations participantes ont été conduits à Buenos Aires, à Paris et sur Internet. En interprétant un genre musical populaire mais désuet à l’aube de la crise socio-économique argentine des années 2000, un groupe d’artistes a décidé de donner une nouvelle vie au tango, grâce à leur création d’ensembles et de compositions. Ainsi, ces musiciens sont devenus des entrepreneurs, des artisans de leur vie créative, portant les échos d’une identité développé depuis une centaine d’années. Les innovations numériques ont modifié les tâches quotidiennes : les artistes écrivent et conçoivent leurs idées musicales en s’appuyant sur de nouveaux dispositifs ; ils retouchent autant de détails qu’ils estiment nécessaire lors du processus d’enregistrement, souvent au studio mais aussi parfois à leur domicile ; ils ont créé et utilisent des moyens de communication alternatifs pour diffuser leur musique ; et ils ont élargi leur capital culturel, social et organisationnel. À la différence des artistes parisiens, qui peuvent s’appuyer sur l'Intermittence du Spectacle, les porteños développent toutes sortes de stratégies et rêvent d’un poste d’enseignant qui leur permettrait de se nourrir et de développer des projets musicaux peu rentables. Cette thèse se concentre sur les perceptions que les artistes nourrissent sur le numérique, tout en soulignant leurs stratégies, leurs investissements et leur posture créative, ainsi que leur fréquent rejet de ces outils. Certaines utilisations concernent des raccourcis, d’autres relèvent de explorations sonores. Dans leur recherche de perfection, le numérique est souvent utilisé comme “bouton d’urgence”, tout en cachant l’impossibilité d’un dévouement au projet artistique à temps plein, car diversifier leur temps productif parmi d’autres activités rémunérées est la règle. Bien que l'accessibilité aux dispositifs numériques se soit élargie et que leurs fonctionnalités se soient multipliées au point qu’ils puissent être utilisés sans en maîtriser les processus, le langage numérique dispose d’une matérialité spécifique, très différente à celle que les artistes étaient habitués. De plus, leurs codes supposent souvent un virage vers une édition musicale visualisée, et la production incessante de nouveautés, avec une exposition constante du projet en ligne. Ainsi, je fais l’hypothèse que les pratiques musicales ont été profondément transformées par l’introduction des nouvelles technologies, et qu’être compositeur de tango aujourd’hui exige une adaptation au monde numérique, car l’appropriation de ces moyens est inévitable pour mener à bien ce type de projet. Je soutiens également que ces changements imposent, de manière sous-jacente, de nouvelles règles de jeu qui mettent en péril l’agentivité des artistes professionnels indépendants, notamment au moment de la diffusion et la commercialisation de leur travail. En explorant les changements lors de la composition et l’écriture, de l’enregistrement et du mixage, de la mise en scène, la diffusion et la commercialisation, je montre que ces outils imposent également un certain rythme de vie. Bien qu’ils soient idéaux pour donner vie aux projets indépendants, ils supposent surtout des procédés qui ne s’accordent pas avec la confection artisanale d’un projet musical, processus qui finit par s’assimiler à la logique méritocratique du système néoliberal dominant.

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Jury

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  • M. Esteban Buch (Directeur de thèse), EHESS
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  • Mme Marina Cañardo, Universidad de Buenos Aires
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  • M. Antonio Casilli, Institut polytechnique de Paris
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  • Mme Morgan Luker, Reed College
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  • Mme Sarah Le Menestrel, CNRS
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  • M. Marc Perrenoud, Université de Lausanne
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