Jean-Luc Amalric

Membre associé.e

Professeur en CPGE Arts et Design à Nîmes

Membre associé du C.R.A.L – EHESS

Membre associé de C.R.I.S.E.S – Université Montpellier 3

COORDONNÉES PROFESSIONNELLES

  • wrna-yhp.nznyevp@benatr.serf.egnaro@cirlama.cul-naej
  • wrna-yhp.nznyevp@rurff.serf.ssehe@cirlama.cul-naej
  • 3 bis rue du Vallon, Résidence Le Vallon Bât. C, 30900 Nîmes.

PRÉSENTATION

Né le 8 mars 1965 à Montpellier, Jean-Luc Amalric est agrégé de philosophie, docteur en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et qualifié au titre de maître de conférences (section 17 – philosophie - du CNU).

Après avoir enseigné la philosophie en France pendant 20 ans (en terminale, en classes préparatoires et à l’université), puis durant 4 ans au Brésil (dans le cadre d’un post-doctorat à la P.U.C de São Paulo), il est actuellement professeur de philosophie en CPGE Arts et Design à Nîmes.

Membre du Conseil scientifique du Fonds Ricœur, il co-dirige depuis 2015 la revue bilingue franco-américaine Etudes ricœuriennes, Ricœur studies. En collaboration avec George H. Taylor, il a travaillé également pour le Fonds Ricœur et pour les Editions du Seuil à l’édition scientifique et à la traduction des « Lectures on imagination » : Cours sur l’imagination professé par Ricœur en 1975 à l’Université de Chicago. (Ouvrage à paraître en mars 2024 : Paul Ricœur, L’Imagination, Paris, Seuil, 2024)

De 2018 à 2021, il a organisé à l’EHESS un séminaire consacré à l’imagination et intitulé : « Repenser l’imagination aujourd’hui ».

Il consacre actuellement ses recherches à l’élaboration d’une théorie générale de l’imagination, à travers la mise en œuvre d’un dialogue constant entre philosophie, sciences sociales et sciences cognitives. En partant d’une analyse des fonctions pratique, poétique, sociale, critique et cognitive de l’imagination et de leur articulation précise, il s’agit d’esquisser une théorie de l’imagination incarnée - comme puissance d’innovation et de configuration œuvrant à la charnière du discours et de l’action – et d’en examiner la fécondité au plan épistémologique, esthétique, éthique et politique. L’hypothèse directrice de ces recherches est que le phénomène de l’imagination ne devient intelligible - dans sa complexité et son dynamisme productif – que si l’on pense un dédoublement originaire du procès incarné de l’imagination s’exprimant dans les termes d’une dialectique entre « imagination symbolique » et « imagination fictionnelle ».

THÈMES DE RECHERCHE

  • L’imagination dans l’agir, le savoir et la création.
  • La question des rapports entre imagination et discours philosophique
  • La question de l’imagination dans la philosophie française du 20ème siècle (Sartre, Merleau-Ponty, Bachelard, Simondon, Ricœur, Castoriadis)
  • La philosophie de Paul Ricœur
  • Phénoménologie, herméneutique et déconstruction.

Principales publications :

Livres :

Edition scientifique, Préface, Analyse et Traduction des « Lectures on imagination » par Jean-Luc Amalric (cours sur l’imagination professé en 1975 par Paul Ricœur à l’Université de Chicago). 

 

Présentation de l’éditeur :

En 1975, Paul Ricœur donne en anglais à l’Université de Chicago ce grand cours sur l’imagination resté inédit. En dix-neuf leçons, il relit l’histoire de la philosophie occidentale autour d’une opposition essentielle : d’une part, l’imagination reproductrice (picture, traduit ici par « tableau »), que la tradition a souvent critiquée comme illusoire et trompeuse, d’autre part, l’imagination productrice (fiction), qu’elle a souvent ignorée. Or c’est bien cette fonction créatrice de la fiction, dans sa capacité à inventer et à découvrir de nouvelles dimensions de la réalité, qui intéresse Ricœur. S’appuyant sur la peinture, la poésie ou le processus de la découverte scientifique, il propose in fine une véritable théorie de la fiction, en montrant comment celle-ci imprègne la pensée même et constitue le cœur de l’agir humain.
Avec L’Idéologie et l’Utopie (traduit au Seuil en 1997), l’autre série de leçons donnée à Chicago en 1975, ce cours représente la réflexion la plus développée que Ricœur nous ait livrée sur la question de l’imagination, qui n’a cessé de préoccuper son œuvre, que ce soit dans son approche de la créativité langagière (La Métaphore vive, paru la même année), de la figuration du temps (Temps et Récit) ou de l’identité narrative (Soi-même comme un autre). Paradoxalement, Ricœur n’a pourtant écrit aucun ouvrage qui soit explicitement consacré à ce sujet, comme s’il avait voulu faire de la question centrale de l’imagination une question toujours ouverte et en travail. C’est dire si L’Imagination, accompagné ici d’un appareil critique complet, est une pièce maîtresse de son œuvre.

Traduit de l’anglais et préfacé par Jean-Luc Amalric

  •  Paul Ricœur, l’imagination vive. Une genèse de la philosophie ricœurienne de l’imagination (Paris, Hermann, 2013, 688 p.).

Présentation de l’éditeur :

Partant de l’hypothèse selon laquelle l’élaboration d’une théorie générale de l’imagination constitue l’une des visées centrales de la philosophie ricœurienne et l’un de ses legs les plus prometteurs, ce livre se propose de travailler à une genèse rigoureuse de cette philosophie de l’imagination, en s’appuyant principalement sur les trois œuvres qui composent la Philosophie de la volonté. À travers une analyse des dialogues de Ricœur avec Sartre, Nabert, Bachelard, Merleau-Ponty, Jaspers, Cassirer, Husserl et Heidegger autour de la question de l’imagination, il s’agit de montrer comment cette première grande œuvre philosophique ricœurienne esquisse une théorisation très novatrice de la fonction poético-pratique de l’imagination – capable tout à la fois de poser les bases d’une réhabilitation générale de la fonction de l’imagination dans l’agir humain et d’initier une réflexion critique sur les usages méthodologiques de l’imagination dans le discours philosophique.

  • Ricœur, Derrida : l’enjeu de la métaphore (Paris, Presses Universitaires de France, Collection Philosophies, 2006, 160 p.).

Présentation de l’éditeur :

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la métaphore ne serait qu’un ornement secondaire du concept philosophique, il s’est agi ici de mettre au jour une dépendance plus fondamentale et plus dissimulée de la pensée philosophique à l’égard de métaphore. Un certain travail métaphorique traverse en effet le discours philosophique à la manière d’une énigme puisqu’il paraît tout à la fois dynamiser et menacer son déploiement spéculatif. Or, c’est précisément autour de cette énigme de la métaphore que s’est nouée une singulière discussion entre Ricœur et Derrida. C’est à Paul Ricœur qu’il revient d’avoir initié ce débat dans la 8e étude de La Métaphore vive (1975) sous la forme d’une critique adressée à La Mythologie blanche (1971) de Jacques Derrida, et cette critique donnera lieu trois ans plus tard à une réponse de Derrida dans Le Retrait de la métaphore (1978). Les termes de cet échange prennent souvent un tour paradoxal et déconcertant : tandis que Ricœur attribue à Derrida des thèses qu’il s’efforce de réfuter car elles lui semblent menacer le projet même de son herméneutique critique, Derrida conteste de son côté cette interprétation en revendiquant le statut déconstructif de son écriture et en soulignant au contraire les points d’accord qui le rapprochent de Ricœur. La clé de cette discussion nous a paru résider dans le positionnement complexe des deux penseurs à l’égard de la critique heideggérienne du lien entre métaphorique et métaphysique ; et c’est l’écart entre une pensée de la différance et une pensée de l’acte que nous nous sommes efforcé de mettre en relief en posant la question de l’écriture philosophique dans ses rapports à l’imagination productrice. S’il est un enjeu de la métaphore, c’est que, dans ses rapports à la philosophie, elle implique une certaine détermination du statut du concept philosophique, conduit à une conception spécifique de la textualité et engage une interrogation d’ensemble sur la possibilité (ou l’impossibilité) d’un renouvellement de l’ontologie.

  • Ricœur, Derrida. El desafío de la metáfora (Traducción : Jennifer Rivera y Fabrizio Pineda. Bogota, Universidad Externado de Colombia, 2012, 180 p.).

 Chapitres de livre :

  • 2022 : “Finitude, culpabilité et souffrance : la question du mal chez Ricœur” in Le mal et la symbolique. Ricœur lecteur de Freud (éditeurs : A Thiriez-Arjangi, G Dierckxsens, M; F. Deckard, A. Bruzzone, De Gruyter, 2022).
  • 2021 : “Le statut de l’utopie dans la philosophie de l’imagination de Ricœur” in Penser l’utopie aujourd’hui avec Paul Ricœur (volume collectif dirigé par Sébastien Roman, Presses Universitaires de Vincennes, 2019, 37-55).
  • 2019 : “Finitude, Culpability and Suffering : The Question of Evil in Ricœur” in A Companion to Paul Ricœur’s  Fallible Man, (Editor : Scott Davidson, Lexington Books – 2019).
  • 2018 : “Act, Sign and Objectivity. Nabert’s Influence on the Ricœurian Phenomenology of the Will” in A Companion to Paul Ricœur’s  Freedom and Nature, (Editor : Scott Davidson, Lexington Books – 2018).
  • 2018 : Préface au livre : Entre Ricœur e Freud. Você é quem pensa ser ? A desapropriação e a reapropriação da consciência de Jefferson da Silva (Editora CRV – Curitiba, Brasil, 2018).
  • 2017 : “Ricœur, Castoriadis : productive imagination between mediation and origin” in Ricœur and Castoriadis in Discussion : On Human Creation, Historical Novelty, and the Social Imaginary (Dir. Suzi Adams, Rowman and Littlefield Publishers, 2017).
  • 2017 : “Ricœur, Foucault : subjectivation et auto-affection” in La subjectivation du sujet. Etudes sur la modalité du rapport à soi-même (volume collectif dirigé par Olivier Tinland et Rodolphe Calin, Editions Hermann, 2017).

 Articles 

  • 2022 : “Criticar, imaginar : como ultrapassar o círculo hermenêutico ? As perspectivas abertas pela hermenêutica crítica de Paul Ricœur para a teoria literária” in Ricœuriana, Vol. 2, 2022 (p. 23-47).
  • 2021 :  “Affermazione originaria, attestazione, riconoscimento. L’itinerario dell’antropologia filosofica di Paul Ricœur” in InCirculo, n° 12, 2021 : Paul Ricœur Tra Moderno e Postmoderno (p. 58-85).
  • 2021 :  “L’espace de la fantaisie. Prolégomènes à une approche de l’expérience analytique à partir du concept ricœurien d’identité narrative” in B@belonline, Vol. 8, 2021 : Paul Ricœur. Narrative Identity between Hermeneutics and Psychoanalysis (p. 21-44).
  • 2018 : “La médiation vulnérable : puissance, acte et passivité chez Ricœur” in Etudes ricœuriennes/Ricœur studies, vol. 9 n°1, 2018. 
  • 2016 : “L’articulation de l’éthique et du politique dans l’horizon d’une philosophie de l’acte” : Deuxième partie : “L’oubli de l’acte dans le signe et la réappropriation critique des ressources éthico-politiques de l’imaginaire” in Eco-ethica, Volume 5, 2016 (Lit Verlag / edited by Peter Kemp and Noriko Hashimoto).
  • 2015 : “L’épreuve de la métaphore : éléments pour une critique du discours philosophique” in Remates de Males, Volume 35, n° 2, 2015 (Revista de Teoria e História Literária, ISSN 0103-183X).
  • 2015 : “L’articulation de l’éthique et du politique dans l’horizon d’une philosophie de l’acte” : Première partie : « Anthropologie philosophique et métaphysique de l’acte » in Eco-ethica, Volume 4, 2015 (Lit Verlag / edited by Peter Kemp and Noriko Hashimoto).
  • 2014 : “Evénement, idéologie et utopie” in Etudes ricœuriennes/Ricœur studies, vol. 5 n°2, 2014.
  • 2014 : « Introduction » au Vol. 5 n° 2, 2014 de la revue Etudes ricœuriennes/Ricœur studies. Titre du numéro: “La question de l’imaginaire social et politique”.
  • 2014 : “D’une convergence remarquable entre phénoménologie et philosophie analytique : la lecture ricœurienne des thèses de Sartre et Ryle sur l’imagination” in Etudes ricœuriennes/Ricœur studies, vol. 5 n°1, 2014.
  • 2014 : “La notion d’anthropologie privative dans la phénoménologie de la vie de Renaud Barbaras : de l’anthropologie privative à la biologie privative” in IRIS – Annales de philosophie, volume 35 – Année 2014, Faculté des lettres et des sciences humaines – Université Saint-Joseph.
  • 2013 : “Traduzir : do impossível ao difícil. Em torno da concepção ricœuriana da tradução” (« Traduire : de l’impossible au difficile. Autour de la conception ricœurienne de la traduction »), Prometeus, Filosofia em revista, Universidade federal do Sergipe, ano 6 n° 12, julho-dezembro de 2013.
  • 2012 : “L’imagination poético-pratique dans l’identité narrative” in Etudes ricœuriennes/Ricœur studies, vol. 3, n°2, 2012.
  • 2011 : “Affirmation originaire, attestation et reconnaissance. Le cheminement de l’anthropologie philosophique ricœurienne” in Etudes ricœuriennes/Ricœur studies, vol 2, n°1, 2011.

 Actes de colloques :

  • 2016 : “Símbolo, metáfora e narrativa : o estatuto do ficcional em Ricœur” (« Symbole, métaphore et récit : le statut du fictionnel chez Ricœur ») in Actes du Simpósio Internacional Hermeneia II, septembre 2013 - « Pensar Ricœur : vida e narração » ; organisé par L’UFSC ; Edições Clarinete, Porto-Alegre, Brasil.
  • 2006 : “L’Expérience brisée et l’attestation dans l’herméneutique critique de Ricœur” in Expérience et herméneutique, dir. Guy Deniau, André Stanguennec, Actes du colloque de l’Université de Nantes, juin 2005 (Le Cercle Herméneutique Editeur).

Présentation du projet de recherche C.R.A.L (EHESS) / Fonds Ricœur

Séminaire  C.R.A.L / EHESS , Fonds Ricœur : Repenser l’imagination aujourd’hui

Professeur responsable : Jean-Luc Amalric

 L’objectif de ce séminaire - qui a commencé en 2018 et s’est déroulé sur trois ans - est de poser les linéaments d’une théorie générale de l’imagination, à travers la mise en œuvre d’un dialogue constant entre philosophie, sciences sociales et sciences cognitives. En partant d’une analyse des fonctions pratique, poétique, sociale, critique et cognitive de l’imagination et de leur articulation précise, il s’agira d’esquisser une théorie de l’imagination incarnée - comme puissance d’innovation et de configuration œuvrant à la charnière du discours et de l’action – et d’en examiner la fécondité au plan épistémologique, esthétique, éthique et politique.

Compte-rendu de l’année 2018-2019

Durant l’année 2018-2019, nous avons commencé par dresser un état des lieux des recherches actuelles concernant l’imagination. La question de l’imagination ne cesse aujourd’hui de gagner en importance dans les sciences cognitives et dans les recherches en sciences sociales, en épistémologie de l’histoire, en théorie littéraire, en théorie de l’art ou en théorie du design. Après avoir été longtemps discréditée, dans la philosophie comme dans les sciences, tout se passe en effet comme si l’imagination était en train d’acquérir un nouveau droit de cité dans ces disciplines. 

Nous avons ensuite cherché les raisons de ce retour en grâce de la question de l’imagination. L’une des raisons et non des moindres de ce nouveau regard porté sur l’imagination nous vient à l’évidence des développements actuels des sciences cognitives et des neurosciences. Alors que, dans la première partie du 20ème siècle l’image mentale avait constitué l’une des cibles favorites de la critique philosophique et scientifique, l’étude de l’imagerie mentale et celle de la simulation mentale ont eu pour conséquence de remettre au goût du jour une théorisation de l’activité imaginative tout en la renouvelant profondément. Même si la psychologie cognitive reste encore timide dans l’usage qu’elle fait du terme « imagination », elle nous a ainsi progressivement libérés d’un comportementalisme étroit qui assimilait l’esprit à une boîte noire pour n’en retenir que la part réactive. 

Du côté des sciences humaines et sociales, c’est, nous semble-t-il, le recul de deux paradigmes dominants - le marxisme et le structuralisme – qui explique au moins en partie la redécouverte et la réhabilitation progressive de l’imagination dans ces domaines. Le point commun du marxisme et du structuralisme, dans leur prétention à la science et à la rationalité, c’est qu’ils se sont l’un et l’autre construits à partir de la mise en œuvre d’une critique radicale de l’imaginaire.  Que celui-ci soit ramené à une superstructure illusoire, à une croyance idéologique, à un fantasme ou à un simple épiphénomène, il s’est agi à chaque fois de réduire l’imaginaire pour laisser place à une approche prétendument scientifique du réel. Avec le déclin de ces deux paradigmes qui avaient contribué à une occultation et une dévalorisation durables de la question de l’imaginaire, il est logique que nous assistions aujourd’hui au retour de l’ostracisé.

Tout en essayant d’établir une cartographie de ces mutations et de l’importance croissante de la question de l’imagination dans des disciplines aussi différentes que la sociologie, l’anthropologie, la géographie, l’épistémologie de l’histoire ou la théorie littéraire, nous avons choisi de focaliser notre attention sur deux champs de recherches particuliers. Le premier est celui des théories sociologiques ou anthropologiques de l’imaginaire social (celles notamment de Benedict Anderson, Arjun Appadurai, Zygmunt Bauman et Bronislaw Baczko) que nous avons confrontées aux philosophies de l’imaginaire social de Ricœur et de Castoriadis. Le second est celui de la théorie littéraire et il a donné lieu le 26 novembre 2018 à une journée d’étude co-organisée par Cristina Henrique da Costa et Olivier Abel (à laquelle ont également participé Rodolphe Calin - UPV- et Marielle Macé – CRAL) et consacrée à la question de l’imagination poétique comme possible renouvellement des études littéraires.

A partir de cet état des lieux argumenté des recherches actuelles sur l’imagination, nous avons enfin défini la tâche philosophique que nous assignons à ce séminaire pour les deux années à venir : tenter de construire une théorie cohérente de l’imagination capable d’articuler ces champs de recherches éclatés à partir de l’idée d’un dédoublement originaire du procès incarné de l’imagination s’exprimant dans les termes d’une dialectique entre « imagination symbolique » et « imagination fictionnelle ».

[En 2018-2019, le séminaire a réuni en moyenne 38 étudiants et a donné lieu à 23 validations en Master]

Programme de l’année 2019-2020

         Cette année, notre point de départ consistera à montrer qu’une théorie renouvelée de l’imagination productrice ou du procès producteur de l’imagination dans les domaines théoriques, pratiques, techniques ou artistiques doit renoncer à conférer à l’imagination un statut d’origine. Prenant acte du caractère toujours indirect et analogique de notre accès à l’idée d’une spontanéité productrice de l’imagination – opérant tant au plan individuel qu’au plan social – une telle théorie doit au contraire reconnaître le fait que l’acte d’imaginer se donne toujours comme un mixte d’expérience et d’acte. Or, ce que signifie ce mixte de réceptivité et d’activité, d’appartenance et de distanciation, c’est que le procès de l’imagination productrice ne devient intelligible que si on le pense comme un procès toujours déjà dédoublé – c’est-à-dire, en d’autres termes, comme une relation dynamique et dialectique entre deux formes d’imagination toujours déjà corrélées. 

D’un côté, nous désignerons par le terme « d’imagination symbolique », ce milieu ou cette médiation imaginative toujours déjà là à travers laquelle advient notre expérience du monde, des autres et de nous-mêmes. Et de l’autre, nous appellerons « imagination fictionnelle » cette puissance fondamentale de modélisation du réel qui résulte de notre capacité de distanciation critique à l’égard de ce milieu toujours déjà là que constitue l’imaginaire symbolique dans sa pluralité culturelle et historique. 

C’est parce que nous avons le pouvoir de suspendre ou de neutraliser notre expérience d’appartenance à cet imaginaire symbolique que nous sommes en retour capable de redécrire, de refigurer, de reconstruire et de transformer le réel à travers un « travail fictionnel » qui s’exprime aussi bien au plan de la connaissance scientifique, de la production technique que de la création artistique. A nos yeux, une exploration du phénomène dédoublé de l’imagination ne prend sens qu’à la lumière de cette notion de « travail » ou de « pratique imaginative ». Notre thèse directrice est en effet qu’il faut partir de l’agir et non du « voir » ou de la représentation si l’on veut saisir la spécificité profonde de la productivité imaginative.

         Ce dédoublement de l’imagination et cette praxis imaginative une fois définis, nous focaliserons cette année notre attention sur la question de l’imagination symbolique en analysant les trois zones d’émergence fondamentales du symbolisme (à savoir : le cosmique, l’onirique et le poétique) et en nous arrêtant tout particulièrement sur le corps désirant et percevant comme foyer originaire du déploiement de l’imagination symbolique.

Programme détaillé des séances :

14 octobre 2019 : Séance introductive : Sciences sociales, sciences cognitives et imagination.

25 novembre 2019 : « Castoriadis et les imaginaires kaléidoscopiques » - conférence / débat avec Suzi Adams [Université Flinders / Australie : elle a publié notamment Castoriadis’s Ontology : Being and Creation (2011) ; Ricoeur and Castoriadis in discussion (2017) et dirige la collection Social Imagineries]. 

9 décembre 2019 : Le dédoublement de l’imagination : la dialectique de l’imagination symbolique et de l’imagination fictionnelle.

13 janvier 2020 : « Terre immobile et imagination. A partir de Husserl » - conférence / débat avec Paul Ducros [Université Montpellier 3, il a publié notamment Husserl et le géostatisme. Perspectives phénoménologiques et éthiques (Cerf, 2011) et Sensibilité et imagination. L’esthétique de Hugo von Hofmannsthal (Hermann, 2017)].

10 février 2020 : Explorations de l’imagination symbolique à partir de Ricœur, Bachelard et Merleau-Ponty. Les trois zones d’émergence du symbolisme : le cosmique, l’onirique et le poétique. Le foyer corporel de l’imagination symbolique.

 9 mars 2020 : « Un point de départ : approches surréalistes du merveilleux (André Breton, Benjamin Péret, Pierre Mabille) » - conférence /débat avec Jérôme Duwa [Ecole Estienne- Paris, il a publié notamment 1968. Année surréaliste. Cuba, Prague, Paris (2008) ; et Surréalistes et situationnistes, vies parallèles (2008) ].

 27 avril 2020 : « Les imaginaires des corps féminins » - conférence / débat avec Claudine Sagaert [Université de Toulon, elle a publié notamment une Histoire de la laideur féminine (2015)].

11 mai 2020 : Travail du fictionnel et imagination symbolique : praxis, création et imagination incarnée (séance conclusive).

 

Compte rendu de l’année 2020-2021

3ème année : Travail du fictionnel et imagination symbolique

 

L’objectif de ce séminaire débuté en 2018 est de poser les linéaments d’une théorie générale de l’imagination, à travers la mise en œuvre d’un dialogue constant entre philosophie, sciences sociales et sciences cognitives. En partant d’une analyse des fonctions pratique, poétique, sociale, critique et cognitive de l’imagination et de leur articulation précise, il s’agit d’esquisser une théorie de l’imagination incarnée comme puissance d’innovation et de configuration œuvrant à la charnière du discours et de l’action.

La thèse directrice de notre recherche est que ce procès incarné de l’imagination productrice ne devient intelligible que si l’on admet un dédoublement de l’imagination, c’est-à-dire une relation dynamique et dialectique entre deux formes d’imagination toujours déjà corrélées. D’un côté, nous désignons par le terme « d’imagination symbolique », ce milieu ou cette médiation imaginative toujours déjà là à travers laquelle advient notre expérience du monde, des autres et de nous-mêmes. Et de l’autre, nous appelons « imagination fictionnelle » cette puissance fondamentale de modélisation du réel qui résulte de notre capacité de distanciation critique à l’égard du milieu dynamique de l’imaginaire symbolique dans sa pluralité culturelle et historique.

Pour cette 3ème année de notre séminaire, c’est cette relation dynamique entre imagination fictionnelle et imagination symbolique que nous nous sommes proposés de penser, en la caractérisant comme une « pratique imaginative » œuvrant à un certain « travail du fictionnel ». Nous avons choisi, pour ce faire, d’explorer trois domaines ou champs d’applications privilégiés de ce travail du fictionnel : celui du poétique à travers la théorie philosophique de la métaphore, celui de l’imaginaire social envisagé depuis la question du genre et celui de l’invention technique telle qu’elle a été théorisée dans la philosophie de la technique.

Claudine Sagaert (Université de Toulon) - auteur notamment d’une Histoire de la laideur féminine (Paris, Imago, 2015) est intervenue sur le thème suivant : "De l'imaginaire aux imaginaires du corps féminin". En partant d’une conception de l’imaginaire inspirée de Merleau-Ponty – à la croisée du corps et de l’institution – ainsi que de différentes théories féministes, il s’est agi de penser les conditions de l’invention et de la diffusion d’un nouvel imaginaire du corps féminin libéré du « phallogocentrisme » dans la littérature et dans l’art.

Vincent Beaubois (Université Paris-Nanterre) - ouvrage à paraîre en 2021 : La zone obscure. Vers une pensée mineure du design ( it:ed.) -  est intervenu pour sa part sur le thème suivant : "Schématisme et technologie de Kant à Simondon : vers un schématisme expérientiel de l'imagination". En partant d’une confrontation entre la théorie kantienne du schématisme et le schématisme technique tel que le pense Simondon (à la fois dans ses ouvrages consacrés à la philosophie de la technique et dans son Cours de 1965-1966 « Imagination et invention »), il s’est agi de penser un « schématisme expérientiel » qui n’est pas soumission de l’expérience au pouvoir de l’esprit, mais ouverture de la pensée depuis une participation pratique et opératoire aux choses qui nous entourent.

 

En dialogue avec ces interventions, la thèse que j’ai avancée cette année – à savoir celle d’une pratique imaginative située et incarnée, conçue comme un travail de l’imagination fictionnelle sur une imagination symbolique toujours déjà là – a consisté pour l’essentiel à tenter de penser l’unité tensionnelle de « l’inventer » et du « découvrir » dans le procès créatif de l’imagination.

Pour ce faire, notre réflexion a pris comme point de départ l’épistémologie bachelardienne et sa conception de la « phénoménotechnique » telle qu’elle est exposée en particulier dans « Noumène et microphysique » (1931). Comme le montre en effet Bachelard, les phénomènes nouveaux qu’étudie la microphysique ne sont « pas simplement trouvés, mais inventés » et cette invention est elle-même à penser comme une invention de techniques d’observation éclairée et dynamisée par la valeur inductive des équations mathématiques.

La suite de notre recherche s’est concentrée sur une tentative de ré-interprétation de la théorie ricœurienne de la métaphore développée dans La Métaphore vive (1975).  Nous avons pris comme fil conducteur l’affirmation de Ricœur selon laquelle : « L’énigme du discours métaphorique c’est, semble-t-il, qu’il invente au double sens du mot : ce qu’il crée, il le découvre, et ce qu’il trouve, il l’invente » (Septième étude). Et sur cette base, nous avons tenté d’expliciter la dualité tensionnelle du « travail de la ressemblance » à la lumière de la polarité entre imagination fictionnelle et imagination symbolique.

            Nous avons enfin conclu ce séminaire en montrant comment notre théorie du dédoublement constitutif du procès imaginatif pourrait être étendu à la théorie contemporaine du paysage.

Projet complémentaire 

         En dehors de ce séminaire, j’ai travaillé durant ces dernières années en collaboration avec George H. Taylor de l’Université de Pittsburgh à l’établissement scientifique du texte des « Lectures on imagination » de Paul Ricœur à partir des notes manuscrites et des enregistrements de son cours. Dans la mesure où le texte original de ce cours est en anglais, j’ai par ailleurs assuré la traduction en français de ce texte qui est paru aux Editions du Seuil en mars 2024.

L’ouvrage qui est paru à la fois au Seuil (en français) et aux The University of Chicago Press (en anglais) est donc issu d’un cours sur l’imagination donné par Ricœur à l’Université de Chicago en 1975. A travers une série de lectures de textes classiques et contemporains sur l’imagination, ce cours propose une interrogation historique et critique sur le problème philosophique de l’imagination qui représente un complément indispensable à l’analyse de l’imaginaire social développée dans le cours sur l’idéologie et l’utopie professé la même année aux Etats-Unis et déjà publié au Seuil en 1997. Une première partie est consacrée à une lecture de certains textes classiques sur l’imagination depuis Aristote jusqu’à Kant, en passant par Pascal, Spinoza et Hume. Une seconde partie analyse plusieurs conceptions contemporaines de l’imagination issues de la phénoménologie et de la philosophie analytique : elle aborde successivement les thèses de Ryle, Price, Wittgenstein, Husserl et Sartre sur l’imagination. Dans une troisième partie, enfin, Ricœur esquisse les grandes lignes de sa propre théorie de la fiction en proposant un renouvellement original de la conception kantienne de l’imagination productrice, à partir d’une théorisation sémantique de la créativité langagière. Le grand intérêt de cet ouvrage, c’est qu’il se présente comme un véritable laboratoire en vue de l’élaboration de ces deux œuvres maîtresses que sont La Métaphore vive et Temps et récit, en même temps qu’il confirme la place centrale qu’occupe la question de l’imagination dans l’œuvre de Ricœur.

Telle est la raison pour laquelle, dans le prolongement de ce travail d’édition, et dans le prolongement aussi des trois années consacrées au développement de mon séminaire sur l’imagination, je souhaiterais organiser, avec l’appui du CRAL – EHESS, du Fonds Ricœur et de CRISES (Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales de l’Université Montpellier 3), un colloque ou une journée d’études précisément consacrés à cette question de l’imagination et à la sortie du Cours sur l’imagination de Ricœur (1975) et qui pourrait réunir des chercheurs en philosophie et en sciences humaines et sociales. Dans la mesure où je dirige par ailleurs la revue franco-américaine Etudes ricœuriennes, Ricœur studies depuis 2015, mon vœu serait de consacrer un numéro thématique de la revue à la question de l’imagination dans la philosophie de Paul Ricœur en rédigeant un Appel à propositions autour de la publication du Cours sur l’imagination.

 

 

 

 

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