Type d'événement, date(s) et adresse(s)Journée(s) d'étude

EHESS (Salle 8) - 105 boulevard Raspail 75006 Paris

Regards croisés sur la censure. Les modes de contrôle de la production culturelle sous différents régimes politiques.

Le degré et les formes de l’interventionnisme étatique dans la production des biens culturels sont souvent mobilisés en tant qu’indicateurs pour distinguer souvent à travers des typologies les systèmes politiques dits « libéraux » des régimes « autoritaires » (Martin, 2009 ; Darnton, 2014). Dans les premiers, les mécanismes de contrôle public de production culturelle seraient résiduels et voués à la disparition ; dans les seconds, au contraire, le contrôle strict de l’expression publique serait constamment reproduit.Cette conception normative faisant de la censure un facteur essentiel de classification politique fait doublement obstacle à la compréhension du phénomène. D’un côté, elle se base sur une définition étroite, selon laquelle l’exercice de la censure se limiterait à l’intervention préalable d’une autorité non judiciaire, en l’absence de motifs explicites. Or de nombreux travaux ont mis en évidence les contraintes qui pèsent sur les producteurs des biens symboliques dans les sociétés libérales en les conceptualisant en termes de censure « structurale » (Bourdieu, 1982) ou « invisible » (Bourdieu, 1996 ; Champagne, Marchetti, 2002 ; Durand, 2006). Une telle ouverture sociologique réserve à la censure la place d’un élément (et d’un effet) de la structure des relations sociales dans laquelle sont inscrits les producteurs culturels et qui régit l’accès à l’expression, ses formes et contenus légitimes.D’un autre côté, les techniques ouvertement répressives, restrictives et formalisées de la censure ne constituent pas les seules modalités de contrôle de la production des biens culturels dans le répertoire des systèmes autoritaires. D’ailleurs, la censure au sens étroit y est souvent officiellement proscrite, et les modalités juridiques du contrôle sont en grande partie inspirées des normes des sociétés libérales. Qui plus est, les transformations technologiques facilitant la diffusion de la production culturelle (notamment la propagation des technologies numériques dont les réseaux sociaux) rendent la censure restrictive centralisée – surtout dans les limites du territoire national – moins efficace (Faris, Wang, Palfrey, 2008) et favorisent ses mutations (Deibert, Rohozinski, 2010 ; Oates, 2013).Cependant, les recherches sur la censure politique sous différents régimes politiques, ainsi que celles consacrées aux aires géographiques relativement éloignées, ne se rencontrent que très rarement. Le premier objectif de cette journée d’études qui se place dans une optique interdisciplinaire est de faire dialoguer les chercheurs qui étudient la censure sur des terrains politiques et géographiques variés, afin de poser la question des similitudes et des spécificités : est-ce que des systèmes de contrôle de production culturelle semblables sont mis en place sous des systèmes politiques et dans des régions différents ? Peut-on parler de l’euphémisation de la censure (Méon, 2005) et du recours accru à la censure économique et structurale dans les systèmes autoritaires ? Les mécanismes de censure d’habitude associés aux dictatures, peuvent-ils être introduits dans les régimes reconnus comme démocratiques ?Le deuxième objectif de cette manifestation est de croiser les regards sur les modalités de la censure appliquées aux différentes formes de production culturelle : quelle est l’homologie des logiques et des mécanismes de censure politique des arts (musique, cinéma, littérature, théâtre) et des médias ? Ce contrôle politique des formes de production culturelle, ne s’articule-t-il pas au sein d’un système diffus et structural de gestion de la dissidence intellectuelle où les mécanismes de cooptation et de promotion sélective (Daucé, 2013) complètent la dimension purement restrictive de la censure ?

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