Type d'événement, date(s) et adresse(s)Colloque

Maison de la recherche (Salle Athena) - 4, rue des irlandais 75005 Paris

« Liberté d’expression » littéraire et régimes démocratiques. Censure et autocensure aujourd’hui

Lien(s) associé(s)Site du laboratoire Thalim

Ce colloque international est organisé par Catherine Brun (Sorbonne-Nouvelle/ UMR Thalim), Philippe Daros (Sorbonne Nouvelle), Philippe Roussin (CRAL-EHESS/CNRS) et porté par GDRI « le Literature and Democraty : Theoretical , Historical and Comparative Approaches (XXIth-XXst centuries) (2016-2019) ».Présentation :Liberté d’expression et démocratie sont deux concepts distincts, quoique liés. Dans la définition libérale de la démocratie qui prévaut aujourd’hui, ils semblent se confondre : idées et écrits doivent pouvoir circuler sans entraves. Tel est le récit du libéralisme depuis les Lumières européennes.Bien que la censure ait aussi touché des oeuvres de facture « classique », la lutte contre la censure s’est souvent trouvée au cœur de l’histoire héroïsée du modernisme pour rendre compte du destin d’œuvres comme celles de Sade, de Joyce, D.H. Lawrence, de Céline ou de William Burroughs… C’est ce récit que les démocraties libérales ont également opposé à la situation de la création et de l’art des régimes totalitaires dans les périodes de guerre froide, (en Union soviétique) ou en Chine aujourd’hui (舆论导向 depuis 1989). Rares en Occident sont ceux qui soutiendraient que la censure enrichit, involontairement et indirectement, le langage artistique, qui feraient l’éloge de la censure comme Mo Yan, prix Nobel de littérature, a pu le faire en 2012 ou qui verraient dans la censure un thème d’investigation esthétique plutôt qu’un objet de dénonciation.Dans Giving Offense. Essays on Censorship (1996), Coetzee a rappelé que le consensus libéral sur la liberté d’expression qui avait régné chez les intellectuels occidentaux depuis la fin du dix-huitième siècle avait beaucoup fait pour les définir en tant que communauté et que cette ère était arrivée à son terme. La foi dans les vertus et les bénéfices sociaux de la liberté d’expression et du free speech a depuis été largement remise en cause. La critique féministe par exemple a attaqué la position libérale sur la pornographie et son droit à la protection du free speech.Au début des années 1970, au moment où il défendait l’un des derniers livres interdits en France (Eden, Eden Eden, Pierre Guyotat, 1970), Barthes a expliqué que «la vraie censure ne consist[ait] pas à interdire» mais «à étouffer, à engluer dans les stéréotypes» : « la censure sociale n’est pas là où on empêche, mais là où l’on contraint de parler » (Sade, Fourier, Loyola,1971). Il donnait ainsi au mot de censure une acception étendue : non plus seulement l’interdiction institutionnelle prononcée par les détenteurs de l’autorité d’Eglise ou de l’Etat mais un processus social continu de filtrage des opinions admises conduisant à un conformisme idéologique et artistique. Bourdieu a ensuite indiqué qu’une «censure structurale» régissait à la fois l’accès à et la forme de l’expression, liant ainsi la censure non plus seulement à la loi mais aux normes de discours. Il assimilait l’exclusion discursive de certains groupes à une forme de censure préalable « parmi les plus efficaces et les mieux cachées (Ce que parler veut dire, 1982).Cet élargissement du sens de la notion est une manière de prendre acte de l’effacement de la censure telle que le droit l’énonce et des évolutions qu’elle connaît, alors que l’attention des censeurs, se déplaçant des media en perte de vitesse vers d’autres plus populaires, est passée presque entièrement de l’imprimé aux média visuels et à l’internet. A l’âge de la censure aurait ainsi succédé celui de la surveillance, à l’origine d’une auto censure grandissante, si l’on en croit les enquêtes récentes du PEN (Chilling Effets : NSA Surveillance dives US Writers to Self Censor, novembre 2013).Les Etats, qu’il s’agisse de démocraties enracinées, récentes ou au futur disputé, ne sont plus désormais les seuls ni même les premiers acteurs de la censure. La mondialisation est devenue le nouveau cadre des rapports entre censure, liberté d’expression et démocratie. L’affaire des Versets sataniques l’a montré il y a trente ans. La cartographie du vingtième siècle sur la liberté d’expression en matière d’imprimé s’est brouillée.Les grands groupes de mass media de dimension internationale et les entreprises de l’ère d’après Gutenberg ont sans doute en la matière plus de pouvoir que la plupart des Etats : la population de Facebook est plus vaste que celle de la Chine (Timothy Garton Ash, Free Speech, 2016).Avec la neutralité affichée de l’Etat en matière de mœurs, la «société civile» a aussi surgi comme source critique et normative potentielle, modifiant le visage de la censure en la privatisant. Les exemples de pressions abondent, ces dernières années, ainsi que les poursuites intentées par diverses associations ou églises. Ces nouvelles formes de pression témoignent des tensions entre littérature, culture et normes sociales ou religieuses. Nous sommes alors renvoyés aux questions du statut de la littérature et de la fiction, des correspondances entre les textes des œuvres et le réel, de la fragilité de la communication fictionnelle et de la variabilité historique de ces cadres fictionnels.Définir la nature et la fonction de la littérature à partir de la liberté de parole et d’expression, plutôt que comme art, est une entreprise complexe.S’il n’y a plus de censure que par la moyenne, que devient la littérature : censurée par les instances qui président au destin du livre, autocensurée, libérée parce qu’étrangère à la moyenne ? Quelles sont les relations entre censure et création, auto censure et création ? Quelle est la portée esthétique de la censure et de l’autocensure ? De quelle nature sont aujourd’hui les objets de la censure et de l’autocensure en matière littéraire ? Quelles sont les formes que prend cette dernière? L’auto censure tend-elle à se substituer presque totalement à la censure ? Est-elle la forme de la censure à l’ère du néo-libéralisme ? Faut-il parler moins d’autocensure que d’autorégulation, signe que la littérature (écrivains et éditeurs) de l’ère mondialisée entre dans la logique de l’industrie du divertissement cinématographique qui a depuis longtemps internalisé la critique sous la forme de dispositifs d’autorégulation ? Si toutes les sociétés, même celles dites démocratiques, disposent d’un système de censure, il devient nécessaire de conjoindre l’analyse du régime démocratique de la censure et celle de la démocratisation de l’expression littéraire.